The Bear : pulsion de vie ou instinct de mort ?

À l’approche de la cinquième saison, The Bear dévoile un inconscient saturé de pulsions, bien au-delà des cuisines. Entre Eros et Thanatos, Carmen tente de maintenir l’équilibre dans un chaos ordonné.

Alors que sa cinquième saison sera diffusée le 25 juin, The Bear ne se contente pas de dépeindre le quotidien d’une brigade de cuisine. Elle met à nu, sans filtre, les tensions psychologiques que subissent celles et ceux qui y consacrent leur vie. Mais que se passerait-il si l’on tentait d’analyser ce stress à travers un prisme psychanalytique ? Si l’on invitait Freud à table ?

Pour explorer cette tension, il nous faut plonger dans l’univers de Carmen — incarné·e par Jeremy Allen White —, entre vie personnelle étouffée et rêve professionnel de « fine dining ». Une figure dont l’anxiété se transmet au·à la spectateur·rice à chaque plan, à chaque silence, à chaque coup de feu. Une subjectivité au bord de la rupture, mais toujours en quête de maîtrise.

Jeremy Allen White (Carmen “Carmy” Berzatto) et les membres principaux du casting, dans The Bear. Crédit : FX
Jeremy Allen White (Carmen “Carmy” Berzatto) et les membres principaux du casting, dans The Bear. Crédit : FX

Freud divise l’inconscient en trois entités : le ça (id), siège des pulsions primaires — sexuelles, agressives, instinctives ; le surmoi (superego), intériorisation des normes sociales et morales ; et le moi (ego), fragile équilibre entre les deux. Lorsque ce système se dérègle, l’être vacille.

À cette mécanique s’ajoutent deux forces fondamentales : Eros, pulsion de vie — qui cherche l’union, la création, la continuité —, et Thanatos, instinct de mort — qui pousse à la rupture, à la répétition, à la disparition.

Quand les besoins fondamentaux (affection, sécurité, reconnaissance) sont frustrés, Eros se renverse et alimente Thanatos. C’est à ce moment-là que les crises émergent, et que le chaos prend le pas sur la structure.

Selon Freud, toute pulsion qui ne trouve pas d’issue consciente se retourne contre le sujet sous forme de symptôme. Chez Carmen, les pulsions d’Eros — désir de créer, de nourrir, de transmettre — sont progressivement refoulées. Ce refoulement, alimenté par une culpabilité latente et des conflits familiaux non résolus, ouvre la voie à Thanatos : l’autodestruction, la rage, la fuite dans le travail.

Jon Bernthal (Michael “Mikey” Berzatto), dans The Bear. Crédit : FX
Jon Bernthal (Michael “Mikey” Berzatto), dans The Bear. Crédit : FX

Dans cette cuisine où tout semble parfaitement exécuté, chaque plat trahit un manque : celui d’un amour maternel stable, d’une reconnaissance fraternelle perdue. Donna, trop fragile pour incarner une figure d’attachement, et Mike, dont le suicide hante chaque plan, laissent Carmen seul·e avec une mission impossible : réparer l’irréparable en cuisinant l’impossible.

La rage de Carmen, ses coups de colère, ses silences coupants — tout cela révèle une faille plus profonde. Son obsession de la réussite n’est pas simplement une ambition professionnelle, mais une tentative de combler le vide laissé par des paroles jamais dites, des liens jamais guéris. Le passé familial s’invite dans chaque service.

Et pourtant, au-delà de cette histoire intime, la série montre aussi un combat social : maintenir un restaurant en crise, rénover une vision du travail, s’imposer sans autoritarisme. Le besoin de contrôle absolu devient alors le symptôme d’un chaos intérieur. Cuisiner pour maîtriser, réussir pour survivre, diriger pour ne pas s’effondrer.

De gauche à droite : Jeremy Allen White (Carmen “Carmy” Berzatto), Lionel Boyce (Marcus), Ebon Moss-Bachrach (Richard “Richie” Jerimovich), dans The Bear. Crédit : FX
De gauche à droite : Jeremy Allen White (Carmen “Carmy” Berzatto), Lionel Boyce (Marcus), Ebon Moss-Bachrach (Richard “Richie” Jerimovich), dans The Bear. Crédit : FX

La célèbre scène du repas de famille dans la saison 2 incarne ce chaos latent : une table pleine, un moment de joie suspendu, un fragile équilibre vite rompu. Donna, stressée, incarnant des mères brisées par leur propre rôle ; Mike, dont l’éclat de colère pulvérise la paix apparente. Carmen, tentative désespérée d’harmonie dans une structure défaillante. Chaque membre de la famille projette ses blessures, chacun·e tente de survivre à sa manière.

Mike, lui, abandonne le combat. Il laisse derrière lui un restaurant délabré — et un poids immense à porter. Carmen le prend. Par loyauté. Par culpabilité. Par nécessité.

Jamie Lee Curtis (Donna Berzatto), dans The Bear. Crédit : FX
Jamie Lee Curtis (Donna Berzatto), dans The Bear. Crédit : FX

Même après avoir travaillé dans les cuisines les plus prestigieuses, Carmen revient. Reprend les rênes du vieux restaurant familial. Ce n’est pas un retour par échec, mais par fidélité à une douleur jamais apaisée. Comme si, pour équilibrer son moi, iel devait racheter un passé fragmenté — non pas en fuyant, mais en reconstruisant.

La série ne répond pas. Elle expose. Elle regarde droit dans les yeux cette vérité : parfois, l’instinct de mort avance masqué, habillé en toque blanche. Et parfois, dans la chaleur d’une cuisine, c’est le froid de l’inconscient qui dicte les gestes.

The Bear ne raconte pas la résilience héroïque d’un·e chef, mais la lente négociation entre survie et effondrement. Chaque plat est un exorcisme. Chaque service, un combat. Et dans le regard de Carmen, au milieu du vacarme, ce n’est pas la gloire que l’on devine — mais le poids d’un héritage trop lourd.